Évoquer l’humidité pour aborder des désordres de santé peut paraître un peu curieux pour nous occidentaux. Pourtant, elle intervient dans nombre de pathologies quotidiennes plus ou moins bénins. Sa fréquence et sa récurrence vient du fait qu’elle provient souvent d’une alimentation erronée, chose par contre assez répandue dans nos contrées urbaines et industrielles… Ainsi donc, pour se prévenir de cette humidité, mieux vaut suivre quelques conseils alimentaires.
L’humidité d’origine externe
Dans la médecine traditionnelle chinoise (MTC), l’humidité est un des six climats (avec le vent, la chaleur de l’été, le froid, la chaleur-feu et la sécheresse) qui peuvent être à l’origine de désordres énergétiques d’origine externe. Si nous vivons dans un environnement humide (lieu d’habitation humide, pays tropical, travail dans une environnement humide ou encore si on garde des vêtements mouillés…), cette humidité – souvent mélangée à de la chaleur ou du froid – pénètre dans notre organisme lorsque notre énergie défensive censée lutter contre ce genre d’intrusion ne parvient pas à la contenir. Elle induit alors des syndromes, souvent en bas du corps, de lourdeur du corps et de la tête, des œdèmes, des sécrétions et des excrétions épaisses, des articulations douloureuses…
L’humidité d’origine interne
La présence d’humidité dans le corps peut également avoir une origine interne. Pour bien comprendre cela, il faut évoquer ici ce que la médecine traditionnelle chinoise appelle « les liquides organiques ». Il s’agit de l’ensemble des liquides contenus dans le corps à l’exception du sang. La présence d’humidité d’origine interne résulte d’un dysfonctionnement du transport et de la transformation de ces liquides organiques.
Rate et humidité
En MTC, c’est la Rate (qui correspond aux organes de la rate et du pancréas dans le sens occidental) qui a en charge cette fonction principale (le Poumon et le Rein interviennent également dans la gestion des liquides mais ici dans une moindre mesure). Lorsque la Rate est déficiente en énergie, ces liquides ne sont alors ni transformés, ni transportés correctement. Ils stagnent et s’accumulent à certains endroits du corps (généralement plutôt dans le bas du corps et dans les articulations) formant ainsi de l’humidité. Si ces symptômes ne mettent pas en danger la vie des personnes, elles sont souvent assez pénibles au quotidien. Une surcharge pondérale renvoie ainsi à de l’humidité qui sous forme de « glaires » se stocke sous la peau. Des expectorations, une toux grasse ou bien encore de l’asthme sont la conséquence d’humidité qui en stagnant dans le Poumon s’est transformé en mucosités-glaires. Les raideurs et les gonflements articulaires témoignent également de la présence d’humidité au niveau des articulations (d’où les crises de rhumatisme lorsque le temps est humide : le facteur climatique externe se rajoutant à la présence d’humidité interne). Une difficulté à uriner indique de l’humidité au niveau de la vessie.
Longs à s’installer, difficiles à s’en débarrasser
Les désordres liés à l’humidité ont de particulier le fait qu’ils s’installent sur un long terme. C’est pour cette raison qu’ils sont difficiles à traiter. Ainsi, dans ce cas comme dans bien d’autres, la meilleure stratégie est la prévention : éviter que l’humidité s’installe plutôt que d’attendre qu’elle soit bien présente pour chercher à s’en défaire. Selon la médecine chinoise, le meilleur moyen de rester en bonne santé est de maintenir la qualité énergétique des organes et donc des fonctions qui leur incombent. Si on applique ce principe sur la question de l’humidité, cela veut dire qu’il faut préserver la qualité énergétique de la Rate qui transforme et transporte les liquides organiques. Or, ce qui affecte le plus la qualité énergétique de la Rate, c’est qualité de l’alimentation. Si une alimentation correcte garantit un bon fonctionnement de la Rate, une alimentation erronée l’affaiblit notablement et cela de manière assez rapide.
Rate et alimentation
Quelle relation y a t-il entre la Rate et l’alimentation? La Rate ne transforme et ne transporte pas seulement les liquides organiques mais également tout ce que nous mangeons. Elle est, avec l’estomac, responsable de la digestion. En effet, pour la MTC, l’énergie de la rate est ce qui constitue au niveau digestif ce que l’on appelle le « feu digestif » : elle doit fournir l’énergie pour « cuire » le bol alimentaire contenu dans l’estomac. Si on a un vide d’énergie au niveau de la rate, le feu digestif sera faible et la digestion difficile. Ainsi, plus nous apportons des aliments qui demandent une « cuisson digestive » importante, c’est-à-dire de l’énergie à la Rate, plus celle-ci risque de s’épuiser. Mieux vaut donc suivre quelques règles simples qui lui éviteront de s’épuiser.
Manger cuit plutôt que cru
Une manière d’éviter de fatiguer sa Rate est de prendre l’habitude de manger cuit au maximum. Puisque la digestion en médecine chinoise est comprise comme une cuisson du bol alimentaire, plus vous cuirez les aliments avant de les ingérer, moins votre Rate aura à le faire et donc à fournir de l’énergie. De plus, la plupart des aliments crus que l’on mange, hormis les fruits, sont des crudités qui possèdent un fort taux d’humidité. Or, il n’est pas difficile de comprendre l’effet de l’humidité sur la digestion quand on la considère comme une cuisson (c’est un peu comme allumer un feu avec du bois humide) : elle demande beaucoup l’énergie. Ainsi, les crudités doivent être évitées surtout l’hiver. En été, si vous avez un feu digestif correct, vous pouvez en consommer davantage mais toujours sans excès. Dans tous les cas, bannissez les repas exclusivement composés des salades de crudité comme plat principal sans autres apports de chaleur conséquente. Par contre, la salade (avec la vinaigrette qui la « réchauffe ») est bienvenue en accompagnement d’un plat chaud.
Manger chaud plutôt que froid
La même logique que dans le point précédent prévaut ici : plus vous apportez de la chaleur à votre Rate, moins elle devra en dispenser pour digérer votre repas. Aussi, manger cuit mais également chaud le plus souvent possible. D’ailleurs, nous le savons tous-tes, un repas bien chaud facilite la digestion : il apporte de la chaleur et le plus souvent des aliments « pré-digérés » si l’on peut dire puisque cuits. Imaginez que vous mangez dans le froid une assiette de crudités, vous « sentez » tout de suite la différence avec un bon repas chaud. Bien sûr, tous les mets que vous mangez lors d’un repas ne sont pas chauds ni cuits. Il n’empêche qu’il faut que le plat principal soit chaud et que vous ressortiez de votre repas avec l’impression de chaleur dans le ventre.
Pour ce faire, ne buvez pas d’eau glacée durant un repas : elle ne rafraîchit que très moyennement. Buvez plutôt en fin de repas, et plutôt une boisson chaude (thé). De manière générale, il faut boire modérément car cela fatigue la Vessie et le Rein qui interviennent dans la gestion des liquides. De ce point de vue, il ne faut pas confondre le fait de consommer de l’eau et la présence d’humidité dans le corps : cela n’a pas de lien direct. L’humidité arrive dans le corps par le biais d’aliments humides ou humidifiant qui sont mal « digérés » et dont l’humidité stagne dans le corps et non à cause d’une consommation importante de liquides.
Manger dans le calme et à heures régulières
Le système digestif a besoin de calme et de régularité pour bien fonctionner. On peut dire que quand vous mangez, vous devez être « dans votre assiette », c’est-à-dire en étant attentif et accueillant à ce que vous dégustez. Évitez les repas d’affaires qui induisent tensions et stress. Ne dites pas non plus vos « 4 vérités » à vos amis ou conjoint-e lors des repas. Ces situations tendent l’estomac, ce qui ne favorise pas son bon fonctionnement. Conservez cette idée que le repas est un moment de détente, de plaisir et de partage.
Manger à heures régulières est aussi important : sans régularité, votre corps ne sait plus à quel moment il doit se préparer à digérer et donc à déverser ses sucs digestifs. Dans le doute, il le fera plus fréquemment que nécessaire et notamment lors que vous aurez le ventre vide. Les sucs digestifs, très acides, agaceront alors vos muqueuses digestives faute de bol alimentaire à se mettre sous la dent, si l’on peut dire. Surtout, ils ne seront plus en quantité suffisante quant celui-ci se présentera et la digestion ne pourra se faire correctement.
Trop de douceur, tue la douceur…
La saveur que la Rate apprécie est le doux. Comme tout est affaire d’équilibre, il est dit qu’un peu de douceur la stimule mais trop de douceur la lèse et l’abîme. Le sucré est considéré comme du doux concentré. Ainsi, si un petit carré de chocolat en fin de repas aide à la digestion, une alimentation trop sucrée conduit à affaiblir la Rate. De ce point de vue, le régime alimentaire occidental déborde littéralement de sucre : biscuits, boissons gazeuses, glaces et sorbets, sucrerie, confitures, viennoiseries, pâtisseries, chocolat, produits laitiers… La vigilance s’impose car le sucre est d’une saveur facile mais dont le besoin s’autoalimente telle une drogue. Ce qu’a bien compris l’industrie alimentaire qui développe nombre de produits toujours plus sucrés. Réduisez donc au maximum les aliments sucrés et notamment ceux issus de l’industrie. Il est d’ailleurs préférable de consommer du sucre non raffiné ou du miel pour sucrer certains aliments ou desserts plutôt que du sucre blanc.
Limiter au maximum les produits laitiers
De ces quelques règles découle directement celle qui concerne les produits laitiers (de vache). En plus d’être lourds à digérer, les produits laitiers concentrent en quelques sorte tous les qualités, si l’on peut dire, pour affaiblir sa Rate et son « feu digestif » : en effet, les produits laitiers se consomment en grande majorité froid puisqu’ils sortent souvent du frigo. Ce sont des produits très humides et également très sucrés comme les desserts ou les yaourts que l’on trouve dans les immenses rayons des supermarchés. Rajoutons une mention spéciale pour les glaces qui sont un concentré de tout ce que la Rate déteste : froid important, sucre et humidité.
Bien sûr, comme pour le reste, manger une glace de temps en temps ne provoque pas une catastrophe, mais manger des glaces régulièrement affaiblit assurément l’énergie de la Rate. Pour le fromage, vous pouvez consommer – modérément – celui de chèvre et de brebis, plus digeste que celui de vache. Le problème principal avec les produits laitiers, c’est leur omniprésence. On a ainsi souvent l’impression d’en consommer nettement moins qu’on ne le fait en réalité. Faites un test : sortez sur une table le contenu de votre frigo en séparant les produits laitiers des autres : le résultat est parfois surprenant.
Pour ceux et celles qui redoutent une carence de calcium (qui est dans notre société plus un argument publicitaire qu’une réalité), consommez toute sorte de choux, des brocolis, du poireau, du persil et des amandes. Vos besoins seront largement couverts.
Limiter les aliments humidifiants
Certains aliments ne sont pas humides mais consommés en grande quantité ou mélangés à d’autres aliments, ils produisent de l’humidité dans le corps. En ce sens, ils sont dits humidifiants. Il faut donc les éviter tout autant. Ce sont les corps gras, les alcools, et là aussi les plats sucrés. Ils sont redoutables lorsqu’ils sont consommés ensemble. Aussi, évitez les mélanges sucrés et acides très humidifiants notamment :
- Apéritif avec cacahouètes et amandes (acides, alcool, sucre et gras…)
- Fondue fromage et vin blanc (laitage et alcool)
- Charcuterie et cornichons (gras et acides)
- Mousse au chocolat et champagne (sucre, gras et alcool)
ainsi que les mélanges :
- Fruits avec céréales, légumineuses, corps gras.
- Produits laitiers avec céréales
- Produits laitiers et corps gras.
Consommer des aliments tièdes ou neutres
Une autre manière de conserver la qualité énergétique de la Rate est de suivre la logique de la nature des aliments. La civilisation chinoise traditionnelle a développé une diététique raffinée et thérapeutique en caractérisant les aliments selon leur nature et leur saveur. Ainsi, on peut catégoriser les aliments selon qu’ils soient froids, neutres, tièdes ou chauds. On peut également les catégoriser selon qu’ils sont acides, piquants, salés, sucrés ou amers. Si l’on a une pathologie ou un désordre de type froid, il est alors bon de consommer des aliments tièdes ou chauds et d’éviter les aliments de nature froide et ainsi de suite. Les aliments de nature neutre ou tiède vont favoriser la bonne qualité énergétique de la Rate. Le doux étant la saveur de la Rate, les aliments doux favorisent sa bonne santé. Ainsi, selon cette logique, il est bon de manger des aliments neutres et/ou tièdes et doux. Consommez donc régulièrement les produits suivants : agneau, poulet, crevette, ail, gingembre, pomme de terre (vapeur ou à l’eau), oignon, riz. Assaisonner au poivre et aux piments (sans excès) qui réchauffent les plats.
Il est conseillé d’introduire très régulièrement le gingembre (frais) dans votre alimentation qui réchauffe le plat et favorise la bonne digestion. Ainsi, le mélange gingembre + ail + légumes de saison découpé en petit morceaux sautés dans de l’huile (tournesol ou olive), accompagné de riz et assaisonné avec de la sauce soja constitue à la fois un met délicieux, sain, très facile à digérer et profitable à la rate.
Voici une liste d’aliments à la fois doux, neutres et tièdes :
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Produits animaux : boudin, porc, foie de boeuf, miel, oeuf de poule, porc, pigeon, perche, carpe, huître, moule, crevette, poulet, mouton
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Légumes et céréales : poireau, noix, châtaigne, azuki, arachide, avoine, carotte, champignon noir, chou, fève, haricot vert, maïs, pois, fève, pomme de terre, riz, sésame, tournesol, ail, citrouille, oignon, orge, millet.
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Condiments divers : aneth, anis étoilé, basilic, cannelle, cardamome, ciboule, coriandre, gingembre, girofle, huile de soja, muscade, persil, sucre roux, vinaigre
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Fruits (de saison) : figue, grenade, prune, pomme, poire, raisin, abricot, cerise, fraise, jujube, litchi, noix, pêche, pistache.
La Rate, un organe très » émotionnel »
Si vous êtes stressés en permanence, si vous avez des problèmes qui n’avancent pas et qui tournent dans votre tête, si vous ruminez toute la journée, si vous n’arrivez pas à exprimez des colères, des frustrations ou si vous êtes souvent traversés par des sentiments de culpabilité, la santé de votre Rate va s’en ressentir assez fortement. Pour renforcer les effets de vos changements alimentaires, il est profitable d’être plus à l’aise avec vos émotions. Pour cela, prenez du temps pour vous, pour vous poser, pour vous balader dans la nature en marchant ou en vélo. Accepter que des choses vous traversent, vous dépassent. Ne cherchez pas à toujours tout contrôler ou organiser. Tout cela sera bénéfique pour la Rate. La pratique d’exercices de relaxation ou de méditation (qui est assimilée à une réflexion profonde qui nourrit la Rate à l’opposé de la rumination de pensée qui l’épuise) peut également s’avérer utile pour savoir prendre du recul et être plus à l’aise avec sa sphère émotionnelle.
Réinvestir votre cuisine
Par leurs côtés restrictifs, ces quelques règles peuvent décourager certains et certaines de transformer leur mode alimentaire. Cela résulte principalement du fait que l’industrie alimentaire a modifié profondément notre régime alimentaire dans une direction qui suit davantage la courbe de leurs profits que celle de notre santé. La facilité, le manque de temps, l’argument publicitaire et pour une part, le prix ont mené à des pratiques alimentaires sur lesquelles il faut revenir si nous voulons rester en bonne santé. Contrairement à ce qu’il ne paraît, ce chemin à parcourir est plus une re-découverte joyeuse qu’un pâle repli sur quelques aliments tristes. Faire la cuisine seul-e ou à plusieurs (conjoint-e, enfants, ami-e-s), partager un met cuisiné soi-même, apprendre de nouvelles recettes et les propriétés des aliments, redécouvrir la subtilité des saveurs, consommer des produits frais et de saison en faisant son marché ou par le système des Amap, connaître l’origine de ce que l’on mange et plus globalement se réapproprier son régime alimentaire est un processus extrêmement réjouissant et positif pour celui ou celle qui s’en donne un peu la peine.
Les photographies sont tirées du magnifique livre Kousmine Gourmande aux éditions Jouvence dont je ne peux que vous recommander la lecture et de suivre les recettes.